vendredi 18 novembre 2011

Harold and Maude / Harold et Maude (1971) de Hal Ashby


         Monteur attitré de Norman Jewison dans les années 60, Hal Ashby passe à la réalisation en 1970 avec The Landlord / Le Propriétaire (1970). Harold et Maude, deuxième film du réalisateur, évoque la relation entre une septuagénaire et un jeune homme de vingt ans. Entre la comédie, le film contestataire et la romance, Harold et Maude constitue un film particulièrement singulier.


         Le sujet d’Harold et Maude frappe par son originalité. Les personnages principaux s’avèrent être de vrais excentriques. Harold (Bud Cort [1]), léger autiste dégoûté par sa vie de grand bourgeois, trouve refuge dans l’humour noir : sa passion première est la simulation de suicides (pendaison, ouverture des veines, noyade, hara-kiri…). Sinon, il passe le reste de son temps à assister à des enterrements. C’est dans ce cadre macabre qu’il rencontre Maude (Ruth Gordon), une vieille femme au comportement farfelu. Une forte amitié va se forger entre les deux personnages.
         Au premier abord, nos deux personnages ne partagent pas vraiment la même philosophie de vie. Sombre et introverti, Harold est un adolescent mal dans sa peau dont l’existence est marqué par l’ennui. Le folk rock de Cat Stevens souligne avec justesse la noirceur et le spleen d’un adolescent en quête identitaire. Le « haroldisme » consiste en un manque d'intérêt global pour l'existence et une tendance lascive à la dépression. A l’opposé, le « maudisme » est une approche tout à fait différente : c'est la joie et l'optimisme, l'envie de vivre la vie à fond ("Give me an L! Give me an I! Give me a V! Give me an E! L---I---V---E! LIVE! Otherwise you got nothing to talk about in the locker room!") alors même que sa fin est proche.
         Hal Ashby perturbe en inversant les rapports normaux entre l’âge et l’espoir. En opposant le nihilisme à la foi en l'avenir, Hal Ashby, a ainsi voulu confronter l'état d'esprit déjà fermé et négatif de la jeunesse de son époque à l'optimisme préservés par ceux qui ont pourtant enduré les horreurs du vingtième siècle (le passé de Maude est révélé pendant un court instant, lorsqu'Harold découvre son numéro d'identité tatoué dans un camp de concentration). En même temps, ces deux individualités, différentes en apparence, sont rapprochées par une même lutte libertaire et par le désir de vivre différemment en rejetant les codes de la société.
         Tous deux portés vers la bizarrerie, les protagonistes sont des rebelles dans l’âme. L’absence de père et la superficialité de sa mère expliquent la révolté inconsciente d’Harold, jeune homme porté vers le morbide. Quant à Maude, elle vit en marge de la société : non influencée par le regard des autres, elle accumule les expériences insolites et se caractérise par une négligence vis-à-vis des conventions : elle conduit à toute vitesse, expose son corps âgé en tant que modèle, collectionne des odeurs… Anarchiste, elle refuse même de se soumettre à la police lorsque celle-ci l’interpelle.
         Harold et Maude, également marqué par un fort antimilitarisme et un certain anticléricalisme, trouve ainsi parfaitement sa place dans sa place dans l’idéologie contestataire des seventies. Comme Jules et Jim de Truffaut (l’amour à trois), Harold et Maude présente une situation choquante (un amour fort malgré l’écart générationnel) [2] que le réalisateur se plaît à banaliser (le ménage d’Harold et Maude nous est montré comme un couple comme les autres) en portant un regard attentionné et dénué de tout jugement. Ashby semble ainsi nous inviter à penser différemment, à remettre en cause l’influence d’un interdit sans fondement. Si l’Amour est plus fort que tout, pourquoi ne vaincrait-il pas les différences d’âge, d’état d’esprit, de culture ou de milieu social ? D’ailleurs, n’y-a-t-il pas plus proche d’un vieillard qu’un enfant agité et fragile ?


         Avec l’insolite Harold et Maude, Hal Ashby parvient à combler le fossé entre les générations. Voilà un film audacieux, à la fois touchant et dérangeant.

18.11.11.




[1] Bud Cort venait de jouer dans Brewster McLoud (1970) de Robert Altman.
[2] Les producteurs ont refusé qu’Hal Ashby filme une scène de sexe entre Harold et Maude. On voit toutefois, vers la fin du film, le duo s’embrasser et, à un autre moment, les deux personnages nus dans le même lit.