lundi 13 mai 2013

Ragtime (1981) de Milos Forman

Fuyant le Printemps de Prague de 1968, le tchèque Milos Forman s'installe aux Etats-Unis et obtient en 1977 la nationalité américaine. Quatre ans après, il se lance dans Ragtime, un vaste projet sur l'Histoire de l'Amérique du début du siècle.
 
Adaptation d'une œuvre de E. L. Doctorow, auteur de romans historiques, Ragtime évoque des faits et personnages réels qui ont marqué l'Amérique des années 1900 jusqu'à la Première Guerre Mondiale: le «crime du siècle» ou l'assassinat de l'architecte Stanford White par le millionnaire Harry Kandall Thaw[1]; les exploits du magicien Houdini; l'acquisition par le banquier JP Morgan de la bible de Gutenberg pour sa bibliothèque privée; la réception du premier noir-américain Booker T. Washington à la Maison Blanche par le Président Théodore Roosevelt; ou encore les prouesses du New York City Police Commissioner de l'époque Rhinelander Waldo.
 
A ces évènements authentiques, Ragtime associe le destin d'une famille bourgeoise de New Rochelle, banlieue cossue de New York. Cette famille, apparemment sans histoire, va être confrontée à la question noire: elle recueille une jeune domestique de couleur dont le mari, un pianiste de ragtime, va être victime de discriminations et d'humiliations. Le musicien refuse de voir son honneur et ses droits bafoués et va se lancer dans un conflit armé et sanglant afin d'obtenir réparation.
 
Mélangeant la fiction et la réalité, combinant les destins individuels avec le sort d'une Nation sur une période d'une dizaine d'années, Ragtime relève de la fresque épique. La durée du film (2h30) et l'importante production de Dino De Laurentis sont d'autres éléments qui confortent la grandeur du spectacle. Il faut noter que le fond musical (les airs de la Belle époque et le ragtime, c'est-à-dire des valses européennes et la construction d'une musique vernaculaire) semble être un fil directeur de cette histoire de l'Amérique, au même titre que dans le contemporain American Pop (1981) de Ralph Bakshi.
 
L'intérêt porté pour cette histoire de l'Amérique du début du siècle et des immigrants se retrouvera également dans Il était une fois en Amérique (1984) de Sergio Leone, film assez proche visuellement et où l'on retrouve la comédienne Elisabeth McGovern. Comme le film de Leone, le film de Forman, bercé par une musique mélancolique d'un autre temps (ici, la bande son est signée par Randy Newman) est emprunt d'une certaine nostalgie, celle de la part d'un réalisateur étranger qui regrette une histoire fondatrice qu'il n'a jamais connue.
 
Selon certaines sources, le projet de Ragtime aurait d'abord été proposé à Robert Altman. Il est vrai que le film épouse plusieurs caractéristiques du cinéma d'Altman à savoir un cinéma choral, où différents destins s'entrecroisent, et une critique acerbe de l'Amérique. Chronique de la modernisation et de l'urbanisation d'un pays, Ragtime revient sur racines contestables de l'Amérique: le racisme et la violence, la difficile construction d'un état de droit, les clivages sociaux, la cupidité et l'individualisme. Le père de la famille de Ragtime, peine à rassembler ses proches: son beau-frère rentre dans le terrorisme armé de la cause noire, sa femme s'éloigne de lui, alors que lui-même oublie de s'occuper de son fils. On sent que la sympathie de Forman, réalisateur d'origine tchèque, est portée sur les pauvres issus de l'immigration: un charismatique juif d'origine juive finit par devenir metteur en scène à Hollywood.
 
Fresque épique, Ragtime revient sur les fondements de l'Amérique moderne et Milos Forman, reconnaissant mais critique comme bien des cinéastes immigrés (Wilder, Sirk...), la célèbre tout en en dénonçant ses travers. Forman allait poursuivre dans cet exercice de mythification/démythification avec son film suivant sur Wolfgang Amadeus Mozart.
 
26.04.13.


[1] Cet évènement avait déjà donné lieu au film La Fille sur la Balançoire (1955) de Richard Fleischer.